MANIFESTE DE LA COMPAGNIE LES BRUITS DE LA RUE
Ultime technique de saisie : tu coupes et tu décales. Lent et rapide. Doux et violent. Tu glisses et tu coupes. Langoureux et vite. La vitesse, la rapidité, la vitesse, la vitesse, t’as rien vu, je te l’ai mise, la vitesse, t’as rien vu, la vitesse, et je matraque, plus vite, plus vite, plus vite. Je suis plus vite, plus rapide qu’une balle de kalachnikov. La vitesse, la rapidité, plus vite, plus vite, plus vite, plus vite, t’as rien vu, paf ! J’ai frappé. La vitesse. Je reprends la phrase, j’accélère encore, plus vite que l’attaque de la vipère. Je reprends le corps, la phrase avec, je quadruple le souffle, je décuple la présence, j’accélère les battements de mon cœur, je m’envoie dans une urgence, je valse mon âme dans la tempête, et mon esprit reste serein. Dido attaque, virevolte, et avec sa queue du dragon il frappe. Plus vite, plus vite, plus vite, t’as rien vu. Et je frappe et je change de prise dans la prise. Et je tacle l’écriture, et je feinte le sens, et je broie la comprenette pour qu’on ne me saisisse pas. Je me défie pour me surpasser. Je prends un adversaire plus grand et c’est moi. Je révolvérise ma passion plus vite. Plus vite, plus vite, plus vite, plus vite. Je chasse la vitesse, je chasse la vipère avec mon chat, j’attaque le taureau, j’attaque le bison, j’attaque les maîtres sorciers, les grands maîtres, les chasseurs fous, et les braconniers de la liberté de penser, et les braconniers de la liberté de créer, avec mon dragon je fous le feu, je pulvérise. Plus vite, plus vite, plus vite, plus vite. Je casse le corps, je fais péter la machine humaine, je disparais dans le mouvement, je te reviens à pas de caméléon, surprise, je te plante les doigts d’acier à la gorge, et je te pète le larynx avec les doigts d’acier qui tuent. Plus vite, plus vite. Rapidité sur rapidité, je te grimace avec mon singe, je te jungle dans cet univers ou rien n’est vrai, rien n’est juste, rien n’est logique, rien n’a de sens, rien n’a de possibilité dans cette forêt noire, et tous les diables se déculottent pour ressembler aux arbres, et toute branche est un esprit où le moindre son est une confusion, où un cri devient une parole céleste, où la peur se sert du cerveau des vivants afin de pouvoir leur faire faire d’autres paysages sur des paysages présents mais jamais compris et d’intelligence jamais avouée, et des phrases sur des phrases jamais et déjà écrites. Le faux puisqu’il n’existe pas devient la matrice de la règle. Plus vite et plus vite, et vite encore pour tailler l’imaginaire en déviant les sentiers. Et je te paralyse les circuits, et je bloque tes centres nerveux, et j’insolence ton activité du cerveau, et je te sors de ta coquille, et je t’accouche de toi, je t’enlève la culotte, je te fous à poil, et là pouf ! Je disparais. Keyser Söze.
PRESENTATION
MOI EN PLUS VRAI · Dieudonné Niangouna
Je vis de mots et d'un peu de temps de scène. Je viens du Congo-Brazzaville où j'ai appris à nager entre les lignes d'un magicien qui s'appelait Sony Labou Tansi. J'ai dansé à travers les bombes et les rafales de kalachnikov m'ont appris à écrire, à penser, à dessiner, à peindre, à enseigner, à jouer et à parler fort et très vite sur un plateau de théâtre. C'était le temps de la guerre civile entre 1993 et 2000. C'est comme ça que j'ai inventé ma compagnie de théâtre LES BRUITS DE LA RUE. Tout était amoncellement de détritus devant les spectateurs. La vie vue par ses entrailles. Est arrivé un Carré Blanc dans les cerveaux conquis par le trauma, j'inventais alors un principe de jeu LE BIG BOOM BAH qui consistait à partir au détour des spectateurs pour diluer la réalité dans la fable. Et ce fondu enchaîné dessinait un fond chromatique d'où émanait une déchirure, et d'elle l'action s'abattait sur le plateau. Avec ce principe qui voulait que la suite ne constitue point la linéarité mais une spirale, j'ai bourlingué dans des festivals en Afrique et des Centres Culturels Français me ramassant un petit nom par-ci, par là. La musique et l'image encerclant cette poésie dramatique comme une tempête de vertiges. C'est le socle de mon émoi. Son courant me projeta en France en 2002 dans des festivals comme Les Francophonies en Limousin.
Et par là j'ai appris à grimper la montagne du théâtre contemporain Français avec des objets comme Patati Patatra et des Tralalas (2002), Intérieur-Extérieur (2003), Banc de Touche (2004), une petite incursions à la Comédie Française en 2005 avec ma pièce La mort vient chercher chaussure. Avec ça je bricolais un festival international de théâtre à Brazzaville, Mantsina sur Scène, et apostrophais des compagnons de route et des artistes fantassins depuis 2003. Événementiel que je tiens toujours afin d'apporter de l'eau au moulin. Et le pont qu'il fallait consolider pour bien enjamber la Méditerranée sans se faire manger par les flots entre l'Afrique et l'Europe, et le pont, le fameux pont nous honore encore. Et voici la preuve. L'âme du passeur est toute la beauté de l'histoire.
Comme le temps passe vite dans les histoires qu'on raconte. En 2007 j'atterrissais au Festival d'Avignon IN en Attitude Clando, suivi des Inepties Volantes en 2009 puis bombardé Artiste Associé en 2013 en pleine Carrière de Boulbon avec une chose qui s'appelait Shéda. J'ai emprunté des voies complexes et très engagées par la suite comme Nkenguégi (Festival d'Automne 2016) sur la tragédie des migrants, j'ai fait un tissage textuel de moi et de mon maître à travers Antoine m'a vendu son destin/Sony chez les chiens au théâtre national de la Colline (2017) suite au fait que je venais d'être interdit de séjour au Congo-Brazzaville pour avoir boudé le régime dictatorial qui est en place depuis plus de trente ans, et suis rentré au répertoire du Berliner Ensemble avec ma pièce Fantôme (2018) qui retrace les séquelles de la colonisation dans le future.
En 2019, avec ma pépinière disséminée à travers les eaux, je fabriquais Trust/Shakespeare/Alléluia.
Je considère que tout ça sont des raisons de dialoguer avec notre imaginaire pour penser notre monde multiforme. C'est dans cette vision des choses que le cœur et la tête remplis d'histoires je viens à vous et qu'ensemble nous puissions habiter la maison.